1.1 Pauvre Chester!



Pauvre Chester. Chester l'andouille. C'était comme ça qu'on l'appelait au lycée. Et voici ce qu'était devenue sa vie. Une succession d’événements peu glorieux ni franchement heureux qui avaient fini par le conduire ici. À cet entrepôt désaffecté dont il fouillait quotidiennement les ordures à la recherche de conserve et autres bouts de métal à revendre. 


Mais Chester aimait bien cet endroit. Il y était tranquille. Personne pour lui faire une réflexion désagréable ou lui lancer un de ces regards méprisants, voire plein de pitié.

Chester: Haaa! Fidèle au poste, mon bon vieux Cervo!

Lançait-il toujours à la sculpture faite de bric et de broc qui reposait là, contre un mur du hangar principal. Il est certain que si la statue pouvait parler, elle lui rendrait son salut. Peut-être même deviendraient-ils de super potes. Du genre inséparables. Mais pour l'heure et depuis déjà plusieurs mois, Chest était tout seul. 


Chester, pestant: Tssssk. Rien non plus. Quelqu'un a du passer avant moi...
Il laissa lourdement retomber le couvercle de la benne qui se referma dans un fracas métallique. 

Le jeune homme n'était pas le seul à faire la tournée des conteneurs d'ordures et il avait sûrement été devancé par quelqu'un d'encore plus lève-tôt que lui.


Un gargouillis stupéfiant de longueur le ramena à des considérations plus immédiates: il avait faim. Non loin de là était stationné un de ces food-truck maintenant à la mode. Mais avec aucun simflouz en poche,  Chester n'avait d'autre choix que d'espérer tomber sur quelqu'un de compréhensif et généreux, ou bien de négocier son repas contre de menus services. 

Chester: Aller, mon pote...s'te plait...je te paierai demain!
Le cuistot: N'insiste pas, c'est non. Maintenant, dégage!


D'autres auraient pu se vexer de se voir traiter ainsi, mais pas Chester. Il vagabondait depuis assez de temps déjà pour savoir que se faire rabrouer de la sorte était le lot quotidien de tous ceux qui partageaient sa galère. Ni toit, ni argent, ni famille. Ni même espoir, pour certains. Fort heureusement pour lui, le jeune homme n'en était pas encore arrivé là. Il avait un rêve, et il prenait souvent le temps d'y réfléchir, là, posé sur cette balançoire. Pour tout dire, il caressait ce rêve des yeux. 


Chester: Allez...s'il vous plait. Laissez-moi au moins une chance...

C'était une femme connue et reconnue dans le milieu musical pour son nez. Ou plutôt, son oreille. Elle avait, disait-on, un don pour repérer les nouveaux talents. Les pépites, comme elle les appelait. Chest était persuadé d'en faire partie. Qu'il soit d'or ou de chocolat, il en était une. Et un jour, tout le monde le saurait. 


Heureusement pour lui, la ville offrait de nombreux divertissements gratuits. Comme l'accès à la bibliothèque, par exemple. Cette gratuité avait été votée par le dernier conseil municipal, mettant en avant l'implication des élus locaux dans l'éducation de leurs administrés. 

Chester aimait l'art. Enfin. L'art urbain. Le graff, comme on dit dans le milieu. Et il était toujours aussi étonné de constater que cet art était rentré dans les mœurs et qu'on en faisait désormais de chouettes recueils qu'il avait plaisir à parcourir. 


Il profitait également d'un accès Internet pour pouvoir prendre des nouvelles de ses rares amis via les réseaux sociaux. Son profil ne comportait qu'une petite dizaine de contacts mais il avait à cœur de se tenir au courant de leurs publications. Lorsque cela était de circonstances, Chest se fendait d'un petit commentaire élogieux ou encourageant. Il rajoutait toujours un smiley joyeux, de sorte que personne ne puisse se douter de la vie misérable qu'il menait.


Ian: Ces machines sont vieilles. Tout se casse la gueule à l'intérieur, crois-moi. Je galère pas mal à les remplir parce que tout me tombe sur la tronche...

Le gars entrain de lui donner une astuce s’appelait Ian. Les deux jeunes hommes étaient devenus plus ou moins amis avec le temps. Les visites quotidiennes de Chester à la bibliothèque avaient piqué la curiosité du blondinet et il était tout naturellement venu lui parler. S'il ne pouvait pas directement lui faire don de nourriture sans risque de se faire virer, qu'y pouvait-il si quelqu'un maltraitait un des distributeurs de dehors jusqu'à faire tomber les produits qu'ils contenaient?


Chest alla aussitôt mettre en application les conseils de Ian. Il fit quelques moulinets de ses bras pour s'échauffer, inspira un bon coup et se jeta de tout son poids contre le distributeur. Ce dernier heurta le mur dans un bruit sourd puis retomba à sa place, laissant entendre le "cling" d 'un mécanisme défaillant. 

Chester: (OK. J'y suis presque...)
Le jeune homme en réitéra la manœuvre. Il fallut s'y reprendre à trois reprises mais le résultat en valait la peine.


Transporté de joie et d'incrédulité face à ce succès -lui qui cumulait les ratés- Chester décapsula la canette de limonade qu'il avait réussi à faire tomber et commença à boire. Le soda lui coulait le long du menton mais il s'en fichait royalement. Le sucre lui fit un bien fou, redonnant un coup de fouet à son organisme fatigué et leurrant son estomac, lui donnant l'impression d'être un minimum rempli.


Lorsque le soir fut tombé et que le brun n'eut, comme d'habitude, aucune alternative, il alla s'installer sur un banc près de la caserne des pompiers. Au moins, s'il lui arrivait malheur au beau milieu de la nuit, il osait espérer que peut-être, ses cris de détresse alerteraient quelqu'un. Et que ce quelqu'un lui porterait secours sans simplement le considérer comme un SDF. Un de plus.




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